Retrouvez cet article dans les Lignes d’ATTAC de juillet 2020. Entretien croisé entre Dominique Plihon, économiste et les écologues Brian Pandilla et Laurent Thieulle (animateur des Enragés de l’écologie).
-Quelles sont les causes de cette crise sanitaire et économique ?
D. P. : A la différence de la crise des subprimes de 2008 déclenchée par la défaillance du système financier, cette crise du Covid-19 a des causes économiques et écologiques : elle est la conséquence directe de la destruction climatique et environnementale de la planète par le capitalisme mondialisé, dominé par la logique néolibérale qui donne la priorité au principe de réduction des coûts pour une rentabilité financière maximum au détriment des principes de précaution et de solidarité.
B. P. & L. T. : Le mécanisme d’émergence des zoonoses, ces maladies qui se transmettent naturellement entre l’homme et d’autres animaux, et les risques pandémiques qui y sont liés sont maintenant bien connus : avec la pression croissante des activités humaines entraînant la perte et la fragmentation des habitats naturels, nous précipitons des contacts accrus et imprévus entre de nombreuses espèces, nous y compris. Parmi elles, certaines sont porteuses de pathogènes possiblement dangereux. En ajoutant à cela la surexploitation du vivant pour la pharmacopée, la consommation, le trafic à fin récréatives, etc., nous armons nous-mêmes cette bombe à retardement. La propagation de ce coronavirus suit bien ce modèle, même s’il est difficile de déterminer encore précisément par quels hôtes ce contact s’est fait.
-Était-elle prévisible ?
B. P. & L. T. : C’est un leitmotiv du gouvernement depuis le début de la crise : cette crise était imprévisible. Effectivement, sa date d’apparition était évidemment imprévisible mais elle était, par contre, certaine. La relation entre l’érosion de la biodiversité et l’apparition des zoonoses est bien étudiée. Quand on sait que la biomasse des humains et leurs animaux domestiques est 20 fois plus importante que celle des mammifères et oiseaux sauvages, on comprend que l’appauvrissement génétique de nos animaux d’élevage devient un nid à catastrophes.
D. P. : Cette pandémie était prévisible car elle fait suite à la multiplication des épidémies infectieuses SRAS, Zika, le VIH, Ebola… , toutes liées de multiples façons à la mondialisation néolibérale, productiviste et extractiviste : la déforestation, l’exploitation sans limite des ressources naturelles, l’urbanisation et les flux internationaux de touristes et de managers qui accélèrent la transmission des virus; le délabrement des systèmes de santé et de recherche, …
La plupart des économistes et des médias a présenté à tort cette crise comme le résultat d’un double choc exogène d’offre (baisse de la production) et de demande (baisse des revenus). Cette vision est trompeuse car la baisse conjointe de l’offre et de la demande a été provoquée par des mesures comme le confinement, qui étaient des réponses à la pandémie. En réalité, la crise du Covid-19 est systémique et endogène, c’est-à-dire qu’elle a été causée par le fonctionnement d’un système économique prédateur qui a entraîné une dégradation du climat et de la biodiversité, à l’origine des pandémies.
-En quoi le système capitaliste mondialisé dans lequel nous sommes est-il en cause ?
B. P. & L. T. : La prédation sur les milieux et les espèces, la surexploitation des ressources naturelles sont parmi les caractéristiques de ce système capitaliste mondialisé. Or, c’est précisément ces atteintes environnementales qui augmentent les occasions de contacts avec les réservoirs de virus, voire qui participent à créer de nouveaux réservoirs. Ce système délétère est donc à l’origine du problème. Il l’aggrave par la surabondance d’échanges et de déplacements. Et enfin, il nous empêche de nous y préparer en détruisant les services de protection, les organismes de régulation et en empêchant toute coopération internationale, préférant les dogmes de la liberté d’entreprendre, de la croissance indéfinie et de la concurrence systématique.
D. P. : Cette crise démontre qu’il faut rompre avec le système capitaliste mondialisé et dominé par la logique de rentabilité à court terme. Car, étant fondé sur la surexploitation de l’humain et de la nature, ce système est incompatible avec la mondialisation solidaire et écologique pour laquelle nous nous battons, seule capable de promouvoir un développement soutenable pour la planète.
-Comment expliquer la gravité de cette crise ?
D. P. : L’ampleur inédite de cette crise découle directement de l’interdépendance extrême des systèmes productifs et de la mise en concurrence des populations. La mondialisation est fondée sur les chaînes de sous-traitance des multinationales qui localisent leur production dans les pays où le travail est peu coûteux et mal protégé, sur la dérégulation des marchés et l’assujettissement du droit international aux intérêts des multinationales et des investisseurs financiers, au mépris de la protection sociale et de la nature.
B. P. & L. T. : Si cette crise est si grave, c’est que nos gouvernements ont choisi de prendre le risque d’ignorer les avis des scientifiques sur le caractère certain de cette crise à moyen terme. Elle pouvait être anticipée au moins au niveau des services sanitaires. Pire, nous étions en partie prêt.es en 2012, avec des stocks stratégiques et des services de santé encore disponibles qui ont ensuite été volontairement sacrifiés pour raisons budgétaires.
-Les effets que pouvait avoir la destruction de l’environnement ont-ils été sous-estimés ?
B. P. & L. T. : Quand on constate la quantité de rapports scientifiques, de recherches et d’alertes des milieux spécialisés, quand on voit le nombre de rapports sénatoriaux et de notes des services de l’Etat qui précisent depuis 20 ans le risque, son origine, les solutions à mettre en œuvre, et les moyens à prévoir en cas de pandémie, on se rend compte que les élus avaient toute l’information nécessaire. La situation est bien liée à des choix délibérés : refuser de s’engager dans une politique volontariste de protection de l’environnement, tout comme de se préparer à une crise pour des raisons strictement budgétaires, économiques et idéologiques. Pour ne surtout pas remettre en cause un système libéral à l’origine même du problème.
-Quelles solutions s’offrent à nous ?
B. P. & L. T. : A court terme, aucune. A moyen terme, se préparer à la prochaine pandémie en renforçant les stocks stratégiques et nos systèmes de santé. A long terme, travailler sur notre positionnement vis-à-vis de la nature avec pour axes majeurs la réduction de nos impacts sur les milieux naturels et la lutte contre le changement climatique. Ce dernier point implique une réelle remise en cause du système capitaliste libéral lui-même.
D. P : Les politiques de sortie de crise sont une opportunité pour accélérer la transition écologique et sociale. Elles doivent créer des ruptures par rapport au monde d’avant : abandon des politiques d’austérité, redéfinition des priorités (santé, éducation, alimentation…), revalorisation du travail, restructuration de l’appareil productif, de l’habitat, des modes de transport, …
-Vers quoi doivent s’orienter les politiques de réponse ?
D. P. : Les plans de soutien aux entreprises et de relance doivent être articulés avec les objectifs à long terme : aides conditionnelles et sélectives (ex Air France et Renault), désinvestissements dans les activités nocives (énergies fossiles, pesticides, …). C’est à l’aune de notre diagnostic d’une crise endogène et systémique qu’il faudra juger les politiques de « relance » et de sortie de crise, et combattre les politiques actuelles de relance qui font passer au second plan les objectifs de la transition.
B. P. & L. T. : D’abord, il faut chercher à stopper les principales causes d’érosion de la biodiversité, en limitant l’artificialisation des sols qui détruit les habitats naturels. La courbe d’artificialisation continue à croître plus vite que la population en France, c’est toute la logique des projets inutiles et consommateurs d’espace qui doit être démontée. Mais aussi, en luttant véritablement contre le dérèglement climatique et en transformant notre modèle agricole. Il s’agit de repenser notre rapport à la nature, à privilégier la vie dans toute sa diversité, allant du bien vivre de nos sociétés humaines à l’acceptation du sauvage.
Ces deux points nécessitent un vrai changement de paradigme, en remettant au cœur des réflexions le vivre ensemble plutôt que la croissance comme indicateur de santé d’une société. Retour aux biens communs, à la répartition des richesses, démantèlement des entreprises écocidaires et réorientation vers des préoccupations environnementales et sociales… Le déconfinement révèlera si nous sommes prêt.es à répondre à ces enjeux.