Les USA ont décider de se retirer des accords de Paris sur le climat. Cela a donné lieu à un discours surnaturel de notre Champion de la Terre qui laisse croire que les accords de Paris seront maintenus quoi qu’il se passe et qu’il n’est pas possible d’en sortir. Mais au final, les accords de Paris, c’est quoi ? Qu’est-ce qui fait qu’un politicien comme Macron qui se désintéresse totalement de l’écologie s’y raccroche désespérément au point de conditionner certaines rencontres internationales au respect de ces accords, qu’il ne respecte pas lui-même ? Il s’agit en fait d’une supercherie basée sur un vieux stratagème sophistique : la pétition de principe. Les accords de Paris sont même une double pétition de principe qui permet aux vieilles politiques libérales de se recycler dans un grand greenwashing globalisé. Ces accords sont le symbole de notre incapacité à proposer des politiques efficaces de lutte contre le changement climatique, à changer de modèle.
Les accords de Paris ont été validés en 2015 pour que l’augmentation de la température globale soit maintenue en-dessous de 2°c avec un objectif secondaire de tendre vers une limite de 1,5°c. Ils ont ensuite été ratifiés en 2016 par un grand nombre de pays (187 pays sur les 197 inscrits à la Convention des Nations Unis sur le changement climatique) ce qui représente 97% des sources d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Dans leurs grandes lignes et leurs principes, ces accords sont tout à fait respectables. Ils dressent la liste des bonnes pratiques en matière de lutte contre le changement climatique : plafonnement des émissions et neutralité carbone, renforcement des puits et réservoirs de GES, remédier aux pertes et préjudices, financement du renforcement de capacité des Etats à lutter contre le changement climatique, … Surtout, c’est la première fois au niveau mondial que des obligations de résultats sont mises en place, et non plus uniquement des obligations de moyens. Ils se présentent enfin comme contraignants puisqu’ils fixent un objectif et des modalités de contrôle des pratiques des Etats.
Le problème de ces accords ne vient donc pas de ses déclarations d’intention, mais de la double pétition de principe qui les sous-tend et les rends inadaptés et inapplicables (ne parlons pas des soi-disant contraintes qui sont en fait inexistantes et uniquement là pour garantir cette quasi-unanimité, déjà suspecte).
Dans la large gamme des sophismes, la pétition de principe (petitio principii) tient une place à part. Connue depuis l’antiquité, décortiquée par la philosophie moderne et contemporaine, elle a pourtant toujours été largement employée par les politiciens, orateurs, populistes et continue ses ravages intellectuels de nos jours jusque dans nos plus hautes sphères décisionnelles. Une pétition de principe est un exemple de raisonnement circulaire. On pose en principe une hypothèse non vérifiée pour démontrer un deuxième principe qui en découle nécessairement, ce qui permet de proposer tout type de conclusion de fait fallacieuse.
Exemple : « le répulsif anti-girafe que j’utilise fait fuir les girafes. Comment le sais-je ? Regardez autour de moi : il n’y a aucune girafe ! »
Le principe de l’absence de girafe est acté, donc l’utilisation du répulsif est validé. Comme le dit Aristote dans ses écrits sur la rhétorique, « quand on part d’un principe, il est facile de concevoir une démonstration, et l’on n’a pas à beaucoup insister ». C’est Schopenhauer qui en fait la meilleure description dans son essai, l’Art d’avoir toujours raison : « quand vice versa deux propositions découlent l’une de l’autre et qu’on doit démontrer l’une d’elles, il faut postuler l’autre ». Postuler, et non démontrer. C’est là qu’est le biais, la faille, entre un discours raisonné et un sophisme, une idiotie, dont Schopenhauer s’amuse en expliquant tous les stratagèmes à utiliser sans vergogne pour remporter une joute verbale.
Là où les accords de Paris sont puissants, c’est qu’ils utilisent une double pétition de principe :
« Le principe d’une limitation à +2°c de réchauffement à l’échelle globale est tenable avec le fonctionnement économique néolibéral actuel, donc fixons-nous une limite à 2°c et nous préserverons le climat et le système économique »
Premier « principe » : l’objectif est atteignable sans changer de modèle et sous réserve d’une réduction de 27% de GES.
Depuis l’élection du Président Macron, les émissions françaises repartent à la hausse de 2 à 3% par an alors qu’elles devraient baisser de 27% sur 13 ans
Quand on voit l’évolution des courbes de production de GES à l’échelle mondiale, il n’est pas bien compliqué de comprendre à quel point ce principe est discutable. Cela fait des années que les travaux du GIEC montrent la nécessité vitale absolue de réduire notre production de GES alors même que cette production ne fait que croître de façon accélérée. En 2018, le GIEC poussait un cri d’alarme, indiquant qu’il fallait des réductions drastique des GES d’ici 10 ans sous peine de courir à la catastrophe. Cinq ans après les accords de Paris, il n’est pas surprenant de voir que seuls 16 pays sont en mesure de respecter ces accords. Ils sont suffisamment admirables et peu nombreux pour être cités : l’Algérie, le Canada, le Costa Rica, l’Éthiopie, le Guatemala, l’Indonésie, le Japon, la Macédoine, la Malaisie, le Monténégro, la Norvège, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Pérou, Samoa, Singapour et Tonga. Aucun des 10 plus gros émetteurs n’est présent dans cette liste, dont la France. Certes, ce n’est pas le plus mauvais élève, certains pays ne prévoient même pas de réduction d’émissions dans leur plan d’action national (source : Euractiv, 2018). Il n’en reste pas moins que depuis l’élection de Macron, les émissions françaises repartent à la hausse de 2 à 3% par an alors qu’elles devraient baisser de 27% sur 13 ans.

Deuxième principe : les accords de Paris permettent de sauver nos sociétés et nos modes de fonctionnement économiques actuels.
En 2015, les scientifiques n’avaient qu’une connaissance imparfaite des effets des renforcements positifs
Pour se positionner sur une telle ligne, il faut avoir très mal compris la démarche scientifique et la construction des modèles climatiques. Sans remettre en cause la démonstration de la relation GES et réchauffement climatique, ces modèles ne fonctionnent qu’avec les données actuelles et sont recalés en permanence avec les nouvelles données scientifiques. Ce qui veut dire que l’impact du changement climatique va engendrer des modifications de milieu qui auront eux-mêmes un effet sur le climat (renforcements positifs ou négatifs) et que nous sommes à ce jour encore incapables d’évaluer correctement. En 2015, les scientifiques n’avaient qu’une connaissance imparfaite des effets des renforcements positifs qui risquaient de se déclencher en cas de changement climatique avéré. Aujourd’hui, nous ne faisons qu’entrapercevoir le début de ces renforcements positifs connus mais difficile à chiffrer : réserves de CO2 et méthane océaniques qui se libèrent plus vite que prévu, réserves CO2 et méthane dans le pergélisol qui fond plus vite que prévu (les sols gelés en permanence de Sibérie et des régions arctiques), fragilité antarctique susceptible d’avoir un effet domino (effondrement en cours du glacier Thwaites), épuisement du Gulf Stream dont les conséquences sont encore mal définies…
Croire un instant qu’on peut jouer avec le climat en augmentant de quelques degrés la température moyenne globale sans que les conséquences ne soient dramatiques résulte de la plus pure inconscience, la même qui nous a permis de croire que la croissance infinie dans un monde fini était possible. Considérer qu’une augmentation de 2°c est durable, c’est jouer à l’apprenti sorcier sans se préoccuper une seconde des risques qui pèsent sur les populations et les milieux les plus fragiles, voire sur l’ensemble du globe. Et de fait, les signataires des accords de Paris ne se sont pas engagés à rester sous la barre des 2°c, mais sur des objectifs de réductions de GES dont personne en 2015 ne pouvait garantir qu’ils seraient suffisants. Au vu des dernières données scientifiques, ils ne le sont pas.
la croissance verte est un leurre, seule une économie basée sur la décroissance énergétique et débarrassée des évangiles néolibéraux est susceptible de nous éviter la catastrophe
Non, les accords de Paris ne sont pas tenables dans le mode de fonctionnement néolibéral actuel.
Et oui, même si par miracle nous arrivons à tenir les objectifs d’émissions de CO2, rester sous la barre des 2°c ne serait pas garanti avec des conséquences désastreuses en terme d’agriculture et de gestion de l’espace littoral, autant dire d’économie mondiale.
Des économistes viennent enfin de valider ce que les écologistes expliquent depuis des années : la croissance verte est un leurre, seule une économie basée sur la décroissance énergétique et débarrassée des évangiles néolibéraux est susceptible de nous éviter la catastrophe. Mais en raison des accords de Paris et de cette double pétition de principe, les politiciens libéraux qui nous gouvernent retardent l’échéance une nouvelle fois. Depuis l’antiquité, les sophismes ont permis à des discours apparemment fiables de faire passer des idées saugrenues pour des vérités raisonnables. Les accords de Paris n’en sont qu’un énième avatar. Voilà pourquoi le retrait des USA de ces accords ne changera pas grand chose. Voilà pourquoi le Président français saute sur sa chaise comme un cabri en clamant « accords de Paris, accords de Paris ! » à chaque réunion internationale : parce qu’il est important que nous y croyons encore, que nous pensions encore que les Etats souhaitent effectivement lutter efficacement contre le réchauffement climatique alors qu’ils ne font que réciter leur catéchisme libéral. Cela permettra à ce système moribond de se maintenir encore un peu. Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que la réalité ne les rattrape mais il sera alors trop tard pour nous. Le Giec, en 2018 et avec les données actuelles (!), nous annonçait une échéance très courte, moins de 10 ans. Gageons qu’avec les nouvelles découvertes sur les renforcements positifs, cela aille encore plus vite si nous ne nous engageons pas très vite vers un modèle décroissant, solidaire, résilient, à l’opposé de l’économie consumériste libérale actuelle.
Une réflexion sur “[Climat] Accords de Paris : la double pétition de principe qui nous mène à la catastrophe”