Rapport Kasbarian : L’environnement, ça commence à bien faire !

Ce n’est pas Macron qui le dit, mais il l’applique. Ce gouvernement dégrade le code de l’environnement à une vitesse jamais vu. Le principe : limiter les contraintes et simplifier les procédures de protection de l’environnement pour favoriser les activités économiques. Un nouveau rapport remis au premier-ministre par G. Kasbarian, député LREM, vise à simplifier et accélérer les installations industrielles. Une erreur de stratégie fatale pour l’écologie et nos milieux naturels : simplifier et accélérer les procédures va surtout permettre de ne pas se donner les moyens de connaître les impacts et empêchera la société civile de pouvoir se mobiliser contre les projets nocifs.

Le constat est partagé, la France se désindustrialise. Les raisons en sont multiples : concurrence internationale renforcée par les accords de libre-échange dont le CETA est le dernier avatar, orientation des investissements boursiers vers des produits financiers au détriment de l’économie réelle et productive, politiques à court-terme qui limitent les programmes d’investissements sur de périodes longues nécessaires au maintien d’une industrie performante, transfert des activités polluantes vers les pays pauvres moins contraignants en terme de normes sanitaires et environnementales, privatisation de l’appareil industriel stratégique, délocalisation d’entreprises nationales pour optimiser les rendements, etc… Les coupables : l’Europe, les gouvernements, les actionnaires et autres fonds de pensions, et plus globalement, la rapacité et la mythologie libérale en œuvre depuis les années 80.

Et quel levier choisi ce gouvernement pour améliorer la situation ? Celui de la simplification des procédures d’autorisations au détriment de la protection sanitaire et de la défense de l’environnement. Hors sujet ? Oui, à l’évidence.

Le texte proposé par Kasbarian est composé de 5 parties parfaitement représentatives de l’esprit technocratique libéral mis en œuvre dans la rédaction par exemple des accords internationaux de libre-échange. Il propose ainsi cinq chantiers à mettre en œuvre :

En premier lieu, premier chantier, il place le projet industriel au-dessus des évolutions législatives et réglementaires. Le principe est d’éviter qu’un projet en cours soit remis en cause par une nouvelle norme, une nouvelle loi, une évolution des seuils réglementaires, ou des « tracasseries » procédurales supplémentaires. Notamment, la transposition en droit français des directives européennes, souvent bien plus contraignantes que la législation nationale, sont particulièrement visées et ne devraient plus gêner les projets industriels. Une fois de plus, le législateur joue contre sa propre équipe. Le projet industriel deviendrait ainsi au-dessus des lois adoptées pendant sa phase d’étude.

Le deuxième chantier laisse à la collectivité la charge des études environnementales et archéologiques pour pré-définir des sites d’accueil potentiels pour les futurs projets industriels. Le délai de ces études (autour d’un an) est en effet perçu comme trop long par les promoteurs. Si pour l’archéologie, cela peut éventuellement se comprendre (mais qui paye?), pour les études écologiques, c’est un non sens. D’abord parce que les milieux sont évolutifs, les études en sont vite obsolètes. Ensuite parce que ces études sont faites en fonction des pressions et impacts prévisibles de l’activité. Faire des pré-études environnementales standardisées permettraient surtout de ne pas faire le lien entre l’activité et son environnement. Chantier inutile et dangereux, donc.

Le troisième chantier est plutôt intéressant puisqu’il propose un portail unique d’échange pour les trois grandes procédures, permis de construire, études environnementales et archéologie préventive. C’est un point que les écologues réclament également pour disposer de l’ensemble des données du projet et éviter la sectorisation des études environnementales, ce qui va à l’encontre de leur sujet même.

Le quatrième chantier retombe dans les travers habituels de ces dernières années, à savoir créer des procédures d’exceptions et laisser au préfet le choix de la procédure adaptée au territoire, en dehors de tout garde-fou réglementaire ou législatif. Il aurait ainsi la possibilité de se passer d’enquête publique sachant que celle-ci est déjà mise à mal par le projet de la remplacer par des procédures simplifiées par voie électronique. Il pourrait également valider le démarrage d’un projet avant la fin d’une procédure d’autorisation. Cela permet notamment d’éviter que la société civile puisse s’opposer à un dossier en lui permettant de s’installer le plus rapidement possible, même sans autorisation formelle. Ce chantier rejoint ici toutes les propositions faites dans le projet de décret d’avril 2019 que nous avions déjà dénoncé.

Le dernier chantier vise à donner tous les pouvoirs au préfet pour coordonner l’ensemble des services chargés de l’autorisation administrative. Cette partie ne serait pas inquiétante si elle n’était pas doublée d’un impératif : faire de la reconquête industrielle une priorité. Or, la seule priorité actuelle est la défense de l’environnement, de notre santé, de nos espaces naturels, de la biodiversité et faire en sorte que notre économie et notre industrie ne remettent pas notre propre survie en jeu.

Pour ne pas donner l’impression d’opposer environnement et industrie, il est proposée de relancer une pratique déjà bien en place mais particulièrement dramatique : les réserves d’actifs naturels. Il s’agit ici d’anticiper la dégradation des milieux naturels par l’investissement dans des mesures compensatoires en amont des projets. L’Etat ou des organismes privés créeraient ou restaureraient ainsi des milieux naturels, qui seraient ensuite vendus aux promoteurs pour disposer de mesures compensatoires acceptables. Une fois de plus, cette pratique est une hérésie (voir notre article sur le sujet) et un leurre. Elle fait croire qu’il est possible pour nous de compenser la perte de biodiversité ou de milieux naturels : nous en sommes dans l’immense majorité des cas totalement incapables. Au contraire, tout nos efforts devraient être tournés vers la protection de l’existant et vers la renaturation de ce qui est envisageable. Au lieu de cela, l’économie libérale crée un nouveau marché, celui des mesures compensatoires. Marché totalement artificiel qui sert principalement à se donner bonne conscience et faire croire aux citoyen.nes désinformé.es que nos milieux s’améliorent alors même qu’ils se dégradent inexorablement. Pour bien comprendre cette hérésie, le cas de l’artificialisation des territoires est particulièrement adaptée. Même s’il nous était possible de compenser la perte d’une zone humide, des terres arables ou des sites naturels noyés sous le béton (ce qui n’est pas le cas) en restaurant des milieux similaires dans d’autres secteurs, ces terrains bétonnés seraient de toute façon définitivement perdus et l’artificialisation augmenterait de toute façon. Compenser l’artificialisation ne fait pas reculer l’artificialisation. Sauf à être en mesure de renaturer des friches industrielles bétonnées, ce qui n’est pas le cas. C’est un dispositif comptable mis en place par des financiers qui n’ont aucune notion de ce qu’est l’écologie ni la protection de l’environnement.

Ce rapport est d’autant plus dramatique et scandaleux qu’il s’inscrit dans un projet global très cohérent de détricotage progressif du code de l’environnement. Après s’être attaqué à la nomenclature des dispositifs relevant de la loi sur l’eau ou sur les installations classées, après avoir réduit les pouvoirs du CNPN dans les procédures d’autorisations environnementales, après avoir réduit le champs d’application des enquêtes publiques, après souhaiter la suppression d’une parties des sites classés et inscrits, ce gouvernement envisage aujourd’hui de favoriser l’industrie au détriment de la protection de l’environnement.

« L’environnement, ça commence à bien faire » avait clamé Sarkozy devant les agriculteurs après le pourtant bien inutile Grenelle de l’Environnement. Macron et son premier-ministre appliquent aujourd’hui ce principe dans leur politique législative. On attend avec beaucoup d’attention comment ce rapport va être reçu et quels nouveaux projets de loi ou de décret vont en être tirés. Restons vigilant.es et mobilisé.es !

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