[film] « Le Grain et l’Ivraie » de F. Solanas

Le film de F. Solanas « Un viaje a los Pueblos Fumigados » (en français, « le grain et l’ivraie ») détaille les ravages de la déforestation et de l’utilisation massive d’agrotoxiques en Argentine. Il démontre surtout les exactions de l’agro-industrie et des multinationales qui l’approvisionnent, et l’écueil démocratique qu’elles représentent. Un problème strictement Argentin ? Pas du tout : la France est un parfait exemple de ce que ce film veut dénoncer. L’alerte de Solanas doit toucher en premier lieu tous les pays qui favorisent cette agro-industrie mortifère, la France en tête.

Une petite communauté oubliée du monde voit sa forêt disparaitre sous les bulldozers sur des centaines d’hectares. Ce sont par ces images poignantes que commence le film de Solanas sur l’impact de l’agro-industrie en Argentine. Il y explique avoir rencontré cette communauté sur le tournage d’un autre de ses films, et s’être rendu compte alors quelle horreur ils étaient en train de vivre. Il font partie des centaines de milliers de familles argentines dont l’agro-industrie a englouti les terres, détruit le travail, et ruiné la santé. La forêt qui disparait, c’était leur abri, leur source de nourriture, leur foyer, et également les sépultures de leurs anciens. Il ne leur reste finalement que le choix de l’exode sans ressources ou celui de rester sur place pour servir de main-d’œuvre servile, pratiquement d’esclave, en supportant l’exposition aux fumigations de pesticides sur ces nouveaux « déserts verts » qui remplacent la forêt. Quelques années après, Fernando « Pino » Solanas revient sur place pour commencer son nouveau film, « un Viaje a los Pueblos Fumigados », pour y retrouver une communauté détruite. Un plaidoyer contre l’agro-industrie et les pesticides.

Il serait facile de décrire la beauté des images, la pertinence du commentaire, toujours sensible, et l’intelligence des personnes auxquelles il donne la parole. Mais il faut surtout souligner la qualité du montage qui renforce la démonstration que veut faire Solanas. Et que veut-il démontrer ? Il veut mette en lumière à quel point les marchands de semences et de pesticides, associés aux agro-industriels, sont toxiques pour tout les pans de la société argentine :

Ils ruinent la biodiversité d’une nature riche et fertile, rendant des services inestimables aux populations locales, et la transforme en « déserts verts », mono-cultures de soja et maïs OGM gavées d’agrotoxiques et d’engrais.

Ils ruinent les populations locales en profitant de leur extrême pauvreté pour les exploiter, notamment parce que les liens sociaux ont explosé et que les services écosystémiques ont disparus.

Ils ruinent la santé des travailleurs, des familles, des villages en pulvérisant des quantités invraisemblables d’agrotoxiques, qui contaminent jusqu’aux cours d’école.

Ils détruisent le tissu socio-économique local, ne laissant plus que des villages fantômes et des travailleurs pauvres là où il y avait des communautés paisibles et riches de leur terroir.

Ils favorisent la corruption et les activités mafieuses en concentrant des richesses insoupçonnables dans des activités dérèglementées ou difficiles à contrôler compte tenu de la masse des échanges.

Ils s’appuient sur un pouvoir aux ordres qui dans le meilleur des cas ferme les yeux, et dans le pire va frapper ceux-là même qu’il est sensé protéger. L’Etat va ainsi user de son pouvoir pour intimider, étouffer, contre-carrer toute tentative de contestation. Et dans ces conditions, il n’est pas difficile d’être subversif, il suffit d’ouvrir les yeux sur ces scandales. Car cela devient de plus en plus évident pour le plus grand nombre : dans les zones où elles s’implantent, l’agro-industrie et les multinationales qui l’approvisionnent détruisent tout, l’écologie, la santé, les communautés et jusqu’à la démocratie. Dans ces conditions, des soi-disants »subversifs », il y en a de plus en plus qu’il s’agit alors de bâillonner pour laisser libre court au libéralisme mondialisé violent et vorace.

Des subversifs et des résistants, Solanas en rencontre. De magnifiques portraits d’agronomes, de simples citoyens, de paysans, qui œuvrent pour une société meilleure où ce que nous mangeons et où le pays dans lequel nous vivons ne nous tuent pas. Ils font la preuve qu’un autre monde est non seulement possible, mais également nécessaire et tellement plus joyeux. Un monde où le sourire revient avec la joie de vivre.

Ils sont malheureusement si peu nombreux, et sur des zones si réduites. Pauvre Argentine, dirons-nous ? Pauvre monde, oui ! Et pauvre France…

Car, si l’Argentine est au 2ème rang mondial pour la consommation d’agrotoxiques, la France se défend bien avec un 4ème rang très honorable. Surtout, à surface équivalente, la France utilise pratiquement 2 fois plus de pesticides que l’Argentine. Certes, les pulvérisations par avion sont désormais interdites dans l’hexagone, mais il n’y a toujours pas de distances limites d’épandage par rapport aux zones habitées riveraines. Pour preuve des dangers auxquels nous sommes confrontés : les 60 hospitalisations (dont une 15aine de pompiers venus en secours) en 2018 pour intoxication aigüe au Metham-Sodium, un pesticide dans la liste des produits dangereux (voir notre article). C’est actuellement le seul et toujours unique cas de plainte (déposée par « la sauvegarde de l’Anjou ») qui a conduit à une condamnation, une reconnaissance par l’Etat de la dangerosité du produit et surtout une interdiction (seulement temporaire) de son usage.
Rappelons également le scandale du licenciement de la directrice du REMERA et de l’arrêt du financement de ce registre national parce qu’il enquêtait de façon trop publique et contre l’avis des services de l’Etat sur le scandale des bébés sans bras dont l’éventuelle exposition à des toxiques industriels ou agricoles est toujours à l’étude (voir notre article).
Rappelons la démission l’année dernière du ministre de l’écologie, pourtant très favorable au gouvernement actuel, en raison de la trop forte présence des lobbies au sein même de l’exécutif.
Rappelons enfin l’incroyable revirement du gouvernement français sur les interdictions de pesticides, glyphosate en tête, et sur la vacuité du plan d’action sur les produits phytopharmaceutiques de 2018 (voir notre article) qui a été édulcoré par l’Assemblée Nationale et le gouvernement pour ne plus mentionner aucun pesticide ni mesure contraignante.

Si ce film doit nous alerter, c’est bien sur l’influence néfaste de l’agro-industrie à l’échelle mondiale, pour toutes les économies, et toutes les démocraties. Notamment en France ou les Monsanto et FNSEA mènent un lobbying sans précédent pour imposer un modèle dangereux pour nos sociétés : dangers écologiques, sociaux, sanitaires et démocratiques.

Et s’il y avait à retenir une seule image du film de « Pino » Solanas, c’est l’éclat de rire de cet agriculture bio argentin devant son champs de blé où poussent également chardons et autres adventices des cultures et qui déclare dans un sourire plein de fierté et d’amour pour sa terre : « ce blé est parfait ! »

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