Un joli corps de ferme inhabité, une 20aine d’ha de terres agricoles classées en zone constructible par le PLU, un investisseur national, un centre commercial, et voici comment les conditions sont réunies pour participer aux 236 ha qui disparaissent chaque jour en France sous le béton (source : ministère de l’écologie), soit un département tous les 10 ans. C’est le triste sort d’une ancienne ferme qui va laisser la place à un Leroy Merlin près d’Albi.
Le président de WWF France, Pascal Canfin, estimait en 2018 que l’artificialisation des sols constituait la première atteinte à la biodiversité en France. Nous n’avons pas pu retrouver de références scientifiques confirmant ce point de vue, mais il n’en reste pas moins que cette anthropisation massive des terres agricoles et des milieux naturels posent d’énormes problèmes.
En premier lieu, elle participe effectivement à l’érosion de la biodiversité. Pas besoin d’être un écologue averti pour comprendre que sur et sous le béton, la diversité écologique va être très faible, même par rapport à des terres agricoles, et même régulièrement traitées au glyphosate. Si rien ne pousse dessus, plus rien ne se développe non plus dessous, pas de champignons commensaux des ligneux, plus de réseaux racinaires, une perte irrémédiable dans l’organisation des communautés animales et végétales locales.
Ces zones artificialisées vont également réduire nos capacités à développer l’agriculture. Sachant que cette artificialisation est généralement irréversible, il serait bon de s’en préoccuper avant de ne plus avoir de place pour faire pousser nos salades.
Elles perturbent le cycle de l’eau dans des proportions localement très fortes. Les milieux naturels participent à la réalimentation des nappes et favorisent l’infiltration de l’eau de pluie. C’est un peu moins vrai pour l’agriculture intensive, mais cela reste moins pire que des surfaces bétonnées sur lesquelles l’eau ruisselle intégralement. Généralement, des bassins de stockage sont réalisés en aval de ces zones pour ne pas augmenter les pics de crues et pour retenir une partie des contaminants (généralement des hydrocarbures) qui sont lessivés à chaque pluie. Rarement totalement fonctionnels, ces bassins ne font que restituer une eau sale dans des réseaux d’évacuation pluviale qui rejoignent ensuite le réseau hydrographique. Perte sèche (!) pour la nappe : environ 100% de la zone artificielle et restitution d’une eau souillée dans les cours d’eau.
Ces zones participent également au morcellement des zones naturelles, elles brisent les corridors de circulation des espèces. C’est un effet secondaire, mais qui participe à la réduction de la biodiversité locale. Si les milieux naturels voisins sont trop petits ou trop isolés, ils deviennent alors des îlots écologiques, dont la biodiversité va se réduire même sans perturbation sur le site lui-même.
Les zones artificielles modifient le microclimat local : plus chaud le jour, plus froid la nuit, moins d’humidité, une forte pollution lumineuse associée à l’éclairage nocturne désormais de vigueur où qu’on soit. Tout est réuni pour désorganiser et perturber les milieux naturels attenants.
Enfin, en lisière, et comme toutes les zones artificielles, elles favorisent l’implantation d’espèces pionnières invasives sur les zones de remblais, ou de défrichement. Les espèces locales ne sont plus assez fortes pour s’imposer, laissant le champs libre à de nombreuses espèces indésirables.
Il y a des solutions : réutiliser les friches artificielles déjà existantes, étudier le bilan socio-économique de chaque projet au vu de son coût écologique, prendre en compte les services écosystémiques des milieux naturels concernés. Certaines communes se sont engagées sur un bilan nul du taux d’artificialisation : pour chaque zone en projet, elles cherchent à réutiliser des zones déjà artificielles, ou compensent en renaturant des délaissés urbains. Ces expériences, malgré toutes les critiques qu’on peut leur faire, restent toutefois trop rares. L’augmentation du taux d’artificialisation national ne cesse d’augmenter. Un projet de loi avait été évoqué en 2018 pour taxer tout projet d’urbanisation sur des terres agricoles ou des sites naturels, mais il a été immédiatement bloqué et il semble aujourd’hui abandonné. La taxe n’est cependant plus suffisante. Aujourd’hui, il est surtout urgent d’interdire ce type de procédé et d’envisager de nouveaux PLU avec une réelle prise en compte des critères écologiques dans la gestion de nos territoires.
Alerte et crédit photo par : Jean-Pierre Marchau