[Ecologie] A nos cours d’eau perdus

L’Etat a lancé depuis 2015 une redéfinition de la carte des cours d’eau à l’échelle nationale. Cela a pour conséquence de sortir de la nomenclature « cours d’eau » de nombreux ruisseaux et petites rivières de tête de bassin. Par manque d’ambitions, par manque de moyens, l’Etat cède devant la pression des lobbys agricoles : les ruisseaux qui ne font plus partie du référentiel cours d’eau ne sont plus protégés par le code de l’environnement, et n’ont plus d’objectif de bon état. Effacés de la carte, ils finissent également par disparaître complètement, transformé en fossé ou tout simplement recouverts de terre ou de béton.

Nous sommes nombreux à avoir des souvenirs radieux de nos premières baignades dans les petits cours d’eau de nos campagnes. Une eau claire et fraîche, le doux ruissellement des radiers, les trous d’eau dans lesquels nageaient les bancs de vairons, les écrevisses cachées sous les pierres plates, ou les truites quand on avait de la chance… et quand c’était de petits ruisseaux, la chance de pouvoir y construire son premier barrage temporaire à base de pierres, de bois ou de feuilles (anthropisation, quand tu nous tiens !). Les premiers essais de pêches à la main, les bottes toujours trop basses et remplies d’eau, les nuées d’éphémères, les bouquets de lys, les grenouilles, les jours heureux…

Pour la plupart, ces ruisseaux et petits cours d’eau ont aujourd’hui bien changé. L’assèchement des zones humides (50% de perte depuis 1950), l’hydraulique agricole, l’artificialisation des milieux, la canalisation, l’urbanisation, toutes ces pressions ont participé à les dégrader, à les rendre invisibles sous une chape de béton ou à en faire disparaître purement et simplement une bonne partie. Ce sont de plus des milieux fragiles et très peu résilients (une fois dégradés, il ne leur est pas possible de revenir à l’état antérieur). Et pourtant, ces petits et très petits cours d’eau de tête de bassin sont les principaux régulateurs de nos rivières et de nos fleuves. En premier lieu, ils sont la porte d’entrée aux éléments minéraux et matières organiques qui vont fertiliser et conditionner la vie aquatique en aval. Ils régulent également avec les zones humides les inondations en évitant un transfert trop rapide de l’eau de pluie au cours aval. Enfin, ce sont de formidables auto-épurateurs qui vont permettre de fixer une bonne partie de la matière organique excédentaire pour la relarguer de façon régulée au cours de l’année.

Et l’Europe est arrivée. En 2000, il y a eu une révolution politique passée plus ou moins inaperçue mais qui a permis au monde de l’hydrobiologie et de l’écohydraulique de faire un bon de géant : l’Union Européenne vote la Directive Cadre Européenne sur l’Eau (DCE 2000/60/CE). Ce texte est révolutionnaire car pour la première fois dans la législation environnementale, les Etats ne parlent plus d’obligation de moyens mais d’obligation de résultats. Il n’est plus question de se contenter de rapports et d’études d’impact qui finissent dans des placards. Dorénavant, il faut atteindre le bon état écologique sur l’ensemble de nos cours d’eau. La mise en œuvre de cette directive a été un véritable casse-tête pour le ministère car tout y était sans forcément les bons outils pour y arriver : la définition du bon état, la typologie des cours d’eau, la mise en place du réseau de suivi, et les mesures opérationnelles pour améliorer la qualité des cours d’eau dégradés. De très nombreux scientifiques de tous horizons ont été mobilisés pour trouver les meilleurs solutions et développer des approches et des outils adaptés. Alors bien sûr, le pragmatisme a joué : la définition du Bon Etat n’est pas dénuée d’arrières-pensées en matière de gestion, la typologie n’est pas parfaite, et pas mal de leviers contraires ont été utilisés (dérogations, reports d’objectifs, ou changements de typologie). Peu importe, la DCE est transposée en droit français en 2006, la France avance vers l’excellence écologique avec un programme de mesure à mettre en place pour 66% des masses d’eau qui ne respecte pas les critères de bon état. On y croyait.

Le problème de l’écologie politique, c’est sa versatilité. Après un grenelle de l’environnement de 2007 qui n’aura brassé que du vent et le fameux « l’écologie, ça commence à bien faire » de 2011, un nouvel épisode de marche arrière va avoir lieu en 2015. Sous la pression des lobbys agricoles, FNSEA en tête, l’Etat va envisager un moyen de ne pas brider l’agriculture industrielle, principale pression sur les petits et très petits cours d’eau. Si le bon état n’est pas atteignable sur ces milieux, notamment dans les plaines céréalières, il y a plus simple que de changer les pratiques culturales : il suffit de décréter que les petites rivières de nos enfances ne s’appellent plus « cours d’eau ». La DCE ne s’y appliquera donc plus. En 2015, une circulaire du ministère de l’écologie va demander à ses services de redéfinir le référentiel cours d’eau dans le but louable de rendre ce référentiel plus fiable, mais avec la possibilité pour les dits-lobbys de s’insérer dans le processus de décision et de faire pression pour éliminer les linéaires de cours d’eau trop gênants.

Des services de l’Etat avec trop peu de moyens, sous-outillés et sous-financés, des réunions publiques envahies par une FNSEA vindicative, des associations de protection de l’environnement mal informées et sans réelles données, tout va contribuer à faire de ce nouveau référentiel une catastrophe : dans certains départements, ce sont plus de 20% des cours d’eau qui disparaissent de la carte. La DCE ne s’y appliquent plus, mais ce n’est pas la seule. La loi sur l’eau non plus. Plus d’études d’incidences, plus de police de l’eau ou de la pêche. Dans certains dossiers, les bureaux d’études reçoivent pour consignes de ne plus évaluer les impacts d’aménagement qui portent sur des cours d’eau non référencés. Les bandes enherbées sensées faire tampon pour protéger les rivières des apports directs de pesticides ou d’engrais n’y sont plus obligatoires. Et si une personne souhaite rectifier ou buser un de ces anciens cours d’eau, plus personne ne pourra l’en empêcher.
Bien entendu, les référentiels précédents comme la BD-Carthage n’étaient pas totalement satisfaisants et avaient des défauts, mais le nouveau référentiel est quant à lui une catastrophe pour nos têtes de bassin, laissant libre cours aux aménageurs et aux agriculteurs de sacrifier ce qui conditionne la vie même de nos rivières : leur réseau de petits capillaires qui assurait le drainage doux de nos terres, et une bonne partie de la biodiversité aquatique.

Cette nouvelle cartographie ne remet pas seulement en cause notre paysage rural et la qualité de nos rivière. Elle remet en cause également ce qu’avait décrété la première loi sur l’eau de 1992 : l’eau est notre patrimoine commun. Tout lieu où elle coule, même temporairement, doit avoir un droit de regard et de contrôle par le public et les services de l’Etat. Nous sommes en train de tourner le dos à notre patrimoine naturel parce qu’il est compliqué et onéreux de le rendre de bonne qualité, par manque d’ambition. Nous abandonnons nos rivières aux bons soins de l’agriculture intensive sous la pression des lobbys et du pragmatisme financier. C’est désolant.

Il reste encore quelques poches de résistances, des associations qui continuent à se battre pour faire reconnaître le statut de cours d’eau à des ruisseaux magnifiques, mais ce sera pour sauver une misère par rapport à ce qui a déjà été effacé. Pour la plupart des départements, la nouvelle cartographie est déjà actée. Ne reste qu’à oublier nos cours d’eau perdus.

Pour en savoir plus : le très bon article de Reporterre en 3 parties et le film de l’APRA

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